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23 février 2014 7 23 /02 /février /2014 12:26

Ida marche sur une route. La voilà en route. Elle a vu la médiocrité du monde. Elle croit toujours à un possible au-delà.

De Pawel Pawlikowski

Avec Agata Kulesza, Agata Trzebuchowska, Dawid Ogrodnik...

 

Dans la Pologne des années 60, avant de prononcer ses voeux, Anna, jeune orpheline élevée au couvent, part à la rencontre de sa tante, seul membre de sa famille encore en vie. Elle découvre alors un sombre secret de famille datant de l'occupation nazie....

« En somme, tu es une nonne juive »... Anna regarde, interloquée, cette parente inconnue que la supérieure de son couvent lui a demandé de rencontrer avant de prononcer ses voeux. Elle est pure comme une héroïne de Robert Bresson, la petite Anna, ses yeux semblent rappeler à chacun une innocence perdue. Quand elle sourit, trois fossettes se forment au coin de sa bouche. Le jeune joueur de saxo qu'elle rencontrera plus tard le lui dira : « Tu ne sais pas l'effet que tu produis »... Elle fait face à cette tante jamais vue, étrangère, une de ces femmes dont on devine, en un instant, la lassitude et le mépris de soi qui suscitent forcément la haine des autres. Doucement, presque tendrement, Wanda révèle la vérité : Anna ne s'appelle pas Anna, mais Ida. Elle est la fille de juifs disparus durant la guerre. Dénoncés. Tués. Depuis longtemps oubliés. « Où sont-ils enterrés ? » demande Ida. Nulle part. Comment ça, nulle part ?

 

C'est presque un polar classique, avec enquêteur expérimenté et débutant candide. Les enquêtes, Wanda connaît. Elle était procureur de la République dans le Parti communiste polonais des années 1950, et on la surnommait « Wanda la Rouge » quand elle condamnait, par paquets, des sociaux-traîtres au nom d'un idéal depuis longtemps perdu, aussi dangereux à ses yeux, désormais, que la foi inébranlable, irrationnelle qu'elle lit sur le visage de sa nièce. Alors, l'une pour découvrir ce qu'elle est, l'autre pour oublier ce qu'elle a été, Ida et Wanda entreprennent un périple dans la Pologne grise et gelée des sixties, où les jeunes gens, qui ressemblent aux ados de Milos Forman dans Les Amours d'une blonde, s'ennuient dans des hôtels tristes aux sons de tubes yéyé. Où les vieux, seuls, s'amusent comme pour mieux s'étourdir... Au bout de leur quête, l'effroi les guette : car c'est l'amnésie volontaire du pays qu'elles révèlent. L'horreur niée, jamais expiée, le mal accompli par tant de médiocres, pour des motifs parfois vils et désespérants : s'approprier une maison, un terrain... Comment vivre après cette découverte ? Comment croire en Dieu ? Pire encore : comment croire en l'homme ?...

 

C'est un film aux immenses espaces vides. La lumière qui l'irradie semble écraser des personnages que Pawel Pawlikowski filme souvent au bord du cadre, comme isolés ou apeurés. Ces plans fixes en noir et blanc, entêtants, beaux, presque esthétisants, suscitent le trouble et le mystère. Le film change, passe constamment du secret à la vé­rité, de l'ombre à la clarté, des refrains délicieusement superficiels (Love in Portofino, 24 000 Baisers, Guarda che luna) au jazz de John Coltrane, qui fait entrevoir à Ida la beauté et la mélancolie de la vie.

 

Pawel Pawlikowski est un cinéaste de l'absolu. Ses personnages s'y plient ou en meurent. Dans son film précédent, le superbe et méconnu La Femme du Ve, le héros (Ethan Hawke) acceptait, après un long parcours dans un Paris métamorphosé en ville cauchemardesque, de sacrifier sa vie à son art. Il plongeait dans son destin... Ida, elle, tente de résister : elle ôte son voile, libère ses cheveux, emprunte la robe et les souliers noirs de sa tante, suit le beau saxophoniste qui lui a fait entrevoir le monde. Il lui propose de partir avec lui. Elle sourit : « Et après ? »... « Après, on achètera un chien et une maison ! Et on aura des enfants. » Oui, mais après ?... « Après, on aura des problèmes, comme tout le monde ! »...

 

Ida marche sur une route. La voilà en route. Elle a vu la médiocrité du monde. Elle croit toujours à un possible au-delà. Un prélude de Bach l'accompagne, celui-là même qu'avait utilisé Andreï Tarkovski dans Le Miroir. Et c'est bien ce que filme Pawel Pawlikowski, en définitive : nos reflets dans une glace.

 

— Pierre Murat

 

 

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9 février 2014 7 09 /02 /février /2014 17:15

 

L AMOUR EST UN CRIME PARFAIT De Jean-Marie et Arnaud Larrieu

Avec Mathieu Amalric, Karin Viard, Maïwenn...

 

Professeur de littérature à l’université de Lausanne, Marc a la réputation de collectionner les aventures amoureuses avec ses étudiantes. Quelques jours après la disparition de la plus brillante d’entre elles qui était sa dernière conquête, il rencontre Anna qui cherche à en savoir plus sur sa belle-fille disparue......

 

Une intrigue à la Djian

De magnigiques paysages de montagne

Une faculte qui donne envie de reprendre des etudes ...de cinema ?

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19 janvier 2014 7 19 /01 /janvier /2014 18:26

 

Mon lapin bleu est un film documentaire réalisé par Gérard Alle.
C’est aussi le nom d’un petit bistrot perdu dans la campagne bretonne. La patronne, c’est Yvonne et ses quatre-vingts printemps. Elle est née dans la maison, puis elle a voyagé avant de revenir dans ce petit café à l’enseigne à demi effacée, qui n’est plus fréquenté que par les habitués et les gens de passage, qui tombent dessus par hasard.

Du joueur de cartes à ceux qui ont besoin de poivre ou de pain, en passant par une Mexicaine à la démarche chaloupée ou le buveur d’un petit ballon de rouge, c’est toute l’humanité qui défile dans cette maison familiale pour philosopher, parler de la pluie et du beau temps sur fond d’odeurs marines et de poésie.

On est au bout du monde. Yvonne, la patronne du café, sert des petits rouges aux joueurs de cartes, vend du pain, moud du poivre, trouve le mot juste, la phrase qui sauve la journée.

Elle est née dans la maison, il y a quatre-vingts ans.

Elle a voyagé, mais a décidé, un jour, d’attendre ici que le monde vienne à elle.

Miracle quotidien. Une Mexicaine traverse le bar d’une démarche chaloupée. Un client triste retrouve le sourire. Parfois, c’est tout le bar qui jubile.

Il n’y a pas de hasard : "Tous ceux qui entrent chez moi, c’est qu’ils le méritent !" Pourtant, sur la route, les voitures passent à toute vitesse, indifférentes. Coquillages et mots d’esprit à déguster. La mer n’est pas loin. La poésie non plus.

On est au début du monde.

 

Quelle est l’origine de ce projet de film documentaire ?
J’ai découvert Mon Lapin Bleu et Yvonne, la patronne, au début des années 2000, quand je travaillais avec le photographe Gilles Pouliquen, sur l’ouvrage Commerces de campagne pour lequel nous avons parcouru la Bretagne à la recherche d’établissements de proximité, des bars-épiceries tenus par des femmes. Alors que nous discutions du projet dans un bistrot, un homme m’a parlé de Mon Lapin Bleu à Pouldreuzic. Et c’est ce jour-là que j’ai découvert l’établissement. Depuis, j’y vais régulièrement car ce n’est pas très loin de chez moi. L’idée d’en faire le sujet d’un film documentaire a germé petit à petit, d’autant qu’un ami cadreur, Nedjma Berder, me poussait depuis quelques temps à passer à la réalisation. Puis, j’ai rencontré la productrice Laurence Ansquer. Je lui ai parlé du projet et elle a été emballée.
Comment s’est déroulé le tournage ?
Le tournage a duré 10 jours mais le film, d’une certaine façon, a été réfléchi durant dix ans. Nous avons tourné avec un appareil Canon HD. L’idée était de mettre le spectateur dans la peau d’un client du bistrot et d’être au plus près des gens. Ainsi, à chaque fois qu’un client partait, on prenait sa place, ce qui permettait de changer de point de vue, de voir la scène sous un autre angle. Nous nous sommes fixé une limite : ne jamais passer derrière le comptoir.
L’écriture d’un film documentaire diffère beaucoup de celle d’un roman. Comment vous êtes-vous adapté à cet exercice ?
Je n’ai pas trouvé de grosses différences. Quand on écrit un roman, on ajoute des choses, on en retire, on fait un montage, comme quand on réalise. On adapte l’écriture au fur et à mesure que le projet avance. Il se peut, par exemple, que des personnages prennent plus d’importance que ce que l’on avait prévu au départ. Et il faut donc s’adapter. Mais quand on écrit un roman, c’est un peu pareil.
Quel était votre objectif avec ce film ?
Je voulais défendre des valeurs d’humanisme et de solidarité, comme celles que l’on défendait dans le livre Commerces de Campagne, qui avait bien marché. Yvonne, la tenancière de Mon Lapin Bleu, incarne à elle seule toutes ses femmes fortes, solidaires, bienveillantes et à l’écoute qui étaient présentes dans le livre.
Quelques mots sur la tournée…
Dans le cadre du mois du film documentaire, Mon Lapin Bleu va être projeté à 27 reprises dans la Région. Nous n’avons pas pu répondre à toutes les demandes. Cela prouve une fois de plus que le public breton est très friand de films documentaires.
Propos recueillis par Erwan Bargain

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19 janvier 2014 7 19 /01 /janvier /2014 18:13

 

Réalisateur : Lars von Trier 
Acteurs / rôles: 
Charlotte Gainsbourg : Joe.
Stellan Skarsgard : Seligman.
Stacy Martin : Joe adolescente.
Shia LaBeouf : Jerôme.
Christian Slater : le père de Joe.
Jamie Bell : K.
Uma Thurman : Madame H.
Willem Dafoe : L.

SYNOPSIS

Un soir d'hiver, Seligman, un célibataire endurci recueille chez lui Joe, une jeune femme qui vient d'être passée à tabac. Depuis qu'elle est adolescente, la jeune femme a du mal à gérer une envie de sexe dévorante. Elle s'est elle même diagnostiquée nymphomane et s'est même rendu à des séances de thérapie. Joe raconte à son sauveur son parcours, comment elle a perdu sa virginité avec Jérôme, les expériences sado-masochistes avec K., les jugements de l'ambigüe Madame H. Sa maladie l'a emmenée vers certaines extrémités qui lui ont fait perdre son estime de soi. Désespérée et en quête de rédemption, elle cherche à trouver un nouveau sens à sa vie...

 C'est un film dont on sort en s'interrogeant : sur ce qu'on a vu et sur le sens de ce qu'on a vu. Quel autre cinéaste d'envergure met ainsi l'esprit en éveil ?

Critiques ,  pour , contre ...

Il y a deux manières d’envisager Nymphomaniac :

frontalement, ou par les bords.

Frontalement, programme numéro un : le « cas nymphomane » traité par Lars von Trier (gros sujet) ;

par les bords, programme numéro deux : le « cas LVT » traité au filtre de la nymphomanie (moindre sujet).

Ces deux programmes (masculin et féminin, peur et extase, Éros et Thanatos) se donneront la main sans jamais complètement fusionner, échangeant sans cesse le témoin dans ce film relais à deux voix.

Au gré des confessions et des anecdotes, on y suit le cheminement sexuel de Joe, une ménade au corps de crépons et aux yeux pleins de sèves – c’est la nymphomane du titre. Elle est retrouvée inconsciente sur le sol par Seligman, un vieux garçon qui la soigne sur son lit et deviendra son confident. Cet ermite gentillet, c’est l’alter ego de LVT, son soupirail – et le film ne fait pas mystère de cette promiscuité quand, au détour d’une conversation anodine, Seligman fait référence au dernier exploit médiatique de son modèle (grosso modo : « Je suis antisioniste mais pas antisémite, et les gens ont bien tort de penser que c’est la même chose. »).

Tout du long, l’histoire de Joe vient s’entremêler à la pensée de Seligman, et le film oscille entre passé de la narration et présent du commentaire dans un dispositif confessionnal qui, selon une coutume chère au cinéaste, scande son récit en chapitres thématiques : les débuts de Joe, son premier « amour », ses premiers accrochages...

 

Car Joe, avant d’être Charlotte Gainsbourg (la repentante usée et bavarde), c’est Stacy Martin (la pécheresse stakhanoviste et mutique), une fausse oie blanche ayant tôt fait de découvrir le monstre d’appétit résidant entre ses cuisses. C’est elle qui sera suivie dans ses années folles. Nymphomaniac s’apparente ainsi à un film fleuve, c’est-à-dire un récit plein d’expériences, de tribulations, de remous et de méandres ; à l’embouchure encore inconnue, mais à la confluence déjà certaine des marottes du cinéaste : aliénation et exploitation sous toutes ses formes, panique de l’âme, pulsions extrêmes, anthropologie post-moderne, thérapie symbolique. L’échec commercial de Manderlay ayant rendu impossible, ou peu souhaitable, l’achèvement de sa trilogie sur l’Amérique (trilogie sous-titrée très ironiquement : land of opportunities), LVT s’est rabattu sur la psyché féminine (cette land of neurosis) sans abandonner pour autant l’autoportrait maquillé en grande fresque arty – son curseur a juste changé de domaine universitaire : sociologique hier, psychologique aujourd’hui. Après l’hystérie (Antichrist), la mélancolie (Melancholia), LVT planche avec encore plus de littéralité mais un peu moins d’emphase sur la nymphomanie, dont il aspire à un panorama si prolixe qu’il lui serait impossible de tout embrasser d’un seul coup : un second opus consacré à Joe plus âgée (période Gainsbourg) sortira dans quelques semaines, suivi d’une seconde version mêlant ses deux volumes. Programme bien chargé donc, et pourtant promis à un menu maxi best of (5h30 !) complétant son director’s cut de séquences explicites auto-caviardées – si vous trouvez ça compliqué, c’est normal.

 

Génie sous camisole

 

Le film commence par un carton hallucinant d’hypocrisie qui, sous couvert d’expliquer cette autocensure légèrement interlope (avec l’accord du réalisateur, mais « sans aucune autre implication de sa part ») en profite pour faire son autopromotion, sur l’air faussement scandaleux du film trop libre donc trop dangereux. Présentation sous camisole qui renforce une antienne bien connue : derrière la promesse non tenue du « film monstre », il y a en effet toujours l’alibi du « film malade ». Depuis l’esclandre cannois érigé en mimi-mise à mort culturelle, le mouton noir hypocondriaque n’en démord plus et continue son marketing de persécuté : on voudrait la peau de sa « liberté d’artiste » – donc, c’est entendu, de son génie. Aussi, le film ne se gêne pas pour battre le fer tant qu’il est encore chaud. Comme si subir la censure ou les gémonies étaient un signe de talent. On n’aime pas trop ces querelles intestines claironnées en manifeste artistique, ces gémissements d’aristocrates de la culture qui, faute d’accepter leurs erreurs ou tâtonnements, s’emploient à couronner leur grandeur.

 

On en sait trop depuis vingt ans pour ignorer que LVT veut être un artiste avec un grand A. Certes, on aurait beau jeu de souligner à quel point la mégalomanie de cette prétention n’a d’égal que sa ringardise. Néanmoins, impossible de ne pas en prendre acte, tant ici elle contrarie le film jusqu’au cœur de son sujet. Car derrière la nymphomanie de son personnage, qui est comme une grosse locomotive avalant et recrachant chaque scène (le train est d’ailleurs le plateau de jeu de son premier chapitre), il y a toujours le génie de l’artiste, dont on se ficherait du reste pas mal si précisément celui-ci ne venait pas régulièrement galvauder les maux de Joe, réduits à des têtes de pont. Si LVT fait feu de tout bois, radiographie La-Vie-de-Joe-Volume-1 par une grande kermesse d’images et de coïts (épreuve de drague hardcore, trombinoscope phallique), cette poussière de traits est trop vite endiguée par la veille habitude maïeutique du réalisateur, ce gros rideau explicatif et sentencieux : à quoi sert le personnage de Seligman ici sinon filtrer sans arrêt au tamis de sa conscience (conscience masculine et érudite, évidemment) les agissements de sa nymphomane ?

 

Imperturbable à son propre scandale

 

Au fond, la provocation chez LVT (hybridation formelle, mélange de trash et de haute culture) n’existe qu’en proportion d’une pudibonderie moraliste assez désuète (Gainsbourg tient à mettre en garde son confident : il s’agira de « moral »). Son obsession didactique montre bien en tout cas à quel point cette provocation se prive d’aller jusqu’au bout (au bout de son propre élan) – à quel point il s’agit chaque fois en vérité de tout retenir, tout justifier, tout bourgeoisement ramener à l’intellect, la pensée, le discours (rien que sa justification sur sa mauvaise saillie cannoise est sans conviction, petit bras). D’autant que loin de chercher la lisibilité, ces éclaircissements perpétuels alimentent ce sarcasme perturbateur qui flotte comme un nuage toxique au-dessus de chaque scène. C’est un insupportable grincement de la conscience qui tort toute velléité de premier degré et dilue les affects dans l’apathie. À ce compte-là, rien que de très logique à ce que dans le passé la torpeur mélancolique ait mieux réussi mieux à LVT que l’hystérie – de même qu’ici, l’indolence de sa caméra s’avère le buvard idéal à la placidité de sa nymphomane. Dans un segment vaudevillesque à la cruauté hallucinante, un hurlement viendra quand même secouer cette indolence émotionnelle. Ce hurlement de désespoir et de colère, lancé aux portes de la séquence par une femme cocue et une mère brisée (Uma Thurman, au bout du rouleau), est un moment très beau, très fort, très juste – et pourtant si incongru qu’il paraît venir d’un autre film. Dommage à ce titre qu’il résonne comme un électrochoc sans conséquence. Sur le moment, Joe, imperturbable, ne réagit pas ; et cependant vingt ans plus tard, sous les traits abîmés de Gainsbourg, le personnage ne peut s’empêcher d’y aller de son petit commentaire illustratif : « On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. »

 

Ces explications de texte parsemant ce parcours sont d’autant plus regrettables que même sarcastique, LVT est toujours balourd lorsqu’il cherche à donner la leçon. Il est de ces cinéastes de la mauvaise conscience – qui rendent complice plutôt qu’ils ne donnent à penser, qui infligent plutôt qu’ils ne donnent à voir. C’est le jumeau punk-élégiaque de Haneke, avec qui il partage le goût des saillies incongrues de rock guttural – celui qui dit : « Prends garde bourgeois, tu vas t’en prendre plein la gueule. » Accordons toutefois à LVT une chose : au lieu de s’exprimer du haut de son estrade, il se loge toujours dans l’os de son sujet. Quand le père Fouettard autrichien joue au marionnettiste virtuose, c’est pour mieux menacer son spectateur ; quand le trublion danois fait de même, c’est pour mieux s’emmêler les pinceaux : le cinéma de LVT ne semble jamais aussi inspiré, tracassé, troublant que lorsqu’il se trompe sur toute la ligne, qu’il s’amuse à buriner sur le mur d’un monde qui n’existe pas la marque très douteuse de son génie autoproclamé. Il faut voir comment LVT, tout en commentant et explicitant à tour de bras, se garde bien de donner à la nymphomanie de Joe la moindre assise. C’est une énergie presque enfantine, une ardeur pure, quelque chose qui ne vient rien combler mais remplit tout (le quotidien de son personnage, l’espace créatif du film), un dérèglement tous azimuts aussi nombriliste que centrifuge (dans un ricanant passage chez un groupe de Femen ahuries, LVT coupe d’ailleurs court à toute récupération politique ou militante de la pathologie).

 

Une pompe mise en berne

 

Décharné, exsangue, dépressif, jamais Nymphomaniac ne donne l’impression d’assister à un long supplice doloriste (on garde un très mauvais souvenir du Shame de Steve McQueen), à ces entreprises d’intimidation aux engrenages spécieux qui ont trop vite fait le succès de l’ancien enfant terrible de Cannes (l’irregardable Dogville). Même si le volume II et ses escapades SM n’ont rien pour rassurer, la pompe agaçante et traditionnelle est ici mise en berne pour laisser place à une sorte d’ivrognerie formelle (à chaque chapitre un style, une humeur, un ton différents) faisant tourner à plein régime ce radicalisme esthétique à mi-chemin de la pose et de l’hystérie. LVT a toujours été bon plasticien mais demeure un metteur en scène plutôt pataud – tour à tour affligeant de grotesque (la quasi-totalité de la séquence mort du père) et désarmant de sublime (le petit reste de la séquence, quelques plans). Du reste, son cinéma comme sa personne ont toujours moins intrigué par leur provocation de façade (cette coquetterie racoleuse et très consciente) que par leur maladresse de posture (une sorte d’inconscience du geste, du cadre, du raccord, proche de l’écriture automatique). Il y a dans ce regard une hardiesse tremblante, quelque chose de ces sales gosses chez qui on ne saurait distinguer l’aigreur du chagrin, les méfaits des imprudences, et qui suscitent l’empathie malgré le petit air vicieux dont, comme une cicatrice, ils ne sauraient se départir.

 

On ne fera pas semblant d’ignorer que si la sincérité donne des gages, elle a pour avantage accommodant d’excuser la crétinerie (qui menace comme un couperet chacun des plans, chacun des mots du film). Toutefois il faut être honnête et donner un peu raison à LVT : il nous manque un vrai et gros bout du puzzle pour pouvoir juger. Qu’on en vienne à regretter que ce faux opus magnum ne dure pas véritablement 5h30 prouve à quel point s’est avéré sensiblement agréable le mouvement truculent et presque littéraire de ce serial porno. Débarrassé de son cortège de bourgeois cinglés et repoussants (cette sociologie des enflures, aspect le plus périmé de la filmographie de LVT), soulagé de son obsession du sensationnel et du gouffre (cette spectacularisation des êtres à fleur de peau, sa marque de fabrique), Nymphomaniac - Volume 1 demeure un ego trip un peu paumé mais plutôt allègre. Avant un second volume qu’un teaser final nous laisse deviner plus épicé (soumission, bondage, retour de bâton), et non sans craindre la parousie finale à laquelle sera peut-être promis son personnage principal, on aurait donc tort de ne pas se laisser séduire par la simplicité d’énonciation de ce nouveau LVT. Ayant revu ses ambitions à la baisse et son plaisir à la hausse, le chien fou se gêne moins que jamais pour s’éprendre de tout et n’importe quoi : une comparaison du sexe à un prélude de Bach, autant qu’à une vulgaire partie de pêche à la mouche… Métaphore qu’il ne serait d’ailleurs pas aberrant de rapprocher de l’inénarrable « lâcher de salopes » de Bigard ; en une version féminoïde involontaire (et pourtant révélatrice) qui aurait presque valeur de diagnostic du « cas Lars von Trier » : petit esthète de la névrose de distinction ; grand comique de la haute culture.

 

Louis Blanchot

 

Contre

C'est terrible d'avoir peur à ce point-là. De trouver le sexe aussi sot et sale. DansBreaking the waves, déjà, une pauvre fille se forçait à coucher avec tous les marins du coin pour sauver son mari malade. Un miracle devrait naître de sa déchéance, pensait-elle (les femmes sont toujours un peu stupides chez Lars von Trier). Elle se plongeait, donc, dans le vice avec douleur, rage et obstination... C'est aussi le cas du personnage interprété par Charlotte Gainsbourg. Joe est une sorte de débauchée triste, de libertine coincée, de libidineuse souffreteuse : dans la vie et au cinéma, y a rien de pire... Qu'elle se masturbe à 8 ans ou se fasse, à 18, tous les mecs d'un train, le sens du péché la ronge. Le vieux sage qui la recueille a beau la raisonner, la rassurer, elle s'obstine : garce, salope, vicieuse, malfaisante, elle est tout ça. Simplement parce qu'elle cherche le plaisir sans le sentiment ? Ben oui ! On croit rêver : plus moralisateur, tu meurs...

La misogynie de Lars von Trier rejoint le vide de sa pensée. Car, enfin, que nous dit-il sur le sexe ? A peu près les mêmes banalités que sur le racisme, il y a quelques années (Dogville) ou la mort, récemment (Melancholia). Et le peu qu'il nous en dit, il le filme mal. Après avoir enquiquiné une génération de cinéastes et de cinéphiles avec les règles crétines de son « Dogme » (aucune lumière, le son le plus pourri possible, etc.), il semble découvrir les joies du pléonasme. Evoque-t-on un chat à l'image ? Lars filme un chat ! Un de ses personnages marche-t-il comme un jaguar ? Hop, il montre un jaguar... C'est consternant !... — Pierre Murat

 

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7 octobre 2013 1 07 /10 /octobre /2013 21:17

Ce n'est pas utile !! ou bien juste  pour un court metrage

 

De Radu Jude

Avec Serban Pavlu, Sofia Nicolaescu, Mihaela Sîrbu...

 

 

Marius est un jeune père divorcé. Sa fille de cinq ans vit désormais chez son ex-femme. Cet éloignement est un déchirement. Alors Marius se fait une joie de passer quelques jours à la mer avec la petite quand son tour de garde arrive. Mais ce dimanche-là, rien ne se passe comme prévu....

 CRITIKAT

Réalisé avec peu de moyens, Papa vient dimanche fait d’une contrainte liée aux lieux de tournage un argument de mise en scène. Essentiellement limitées à trois lieux de vie, la majeure partie des scènes du film établissent une géographie des territoires : l’appartement de Marius, lieu fonctionnel et affectivement désinvesti, l’appartement de ses parents, lieu de tension où se cristallisent toutes les frustrations, et enfin l’appartement où vit sa petite fille Sofia, une autre rive dont Marius se sent violemment exclu. Ce troisième territoire restera pendant de longues minutes un hors-champ fantasmé auquel est rivé le personnage d’Otilia, ex-femme diabolisée, contrechamp imaginaire et détesté de Marius et de son propre père. Avant de confronter le couple séparé, Radu Jude introduit d’abord son personnage principal, condensé de nervosité et de grande fragilité. Essoré par le travail et complètement fauché, Marius décide néanmoins de s’accorder un peu de vacances pour emmener sa fille dont il a la garde pour quelques jours. Seulement, le programme ne se déroule pas tout à fait comme prévu : après s’être accroché avec un père autoritaire et caractériel auprès de qui il quémande un vieux véhicule, Marius débarque chez son ex-femme où son nouveau compagnon et son ex-belle-mère lui annoncent que sa fille, alitée, ferait mieux de ne pas sortir. L’homme finit par prendre son mal en patience et attend le retour de la mère de Sofia, absente depuis son arrivée.

<a href="http://www.critikat.com/Papa-vient-dimanche.html" title="critique du film Papa vient dimanche sur critikat.com">Critique du film "Papa vient dimanche"</a>

 

 

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24 septembre 2013 2 24 /09 /septembre /2013 22:10

 

LA DANZA DE LA REALIDAD De Alejandro Jodorowsky

 

Avec Brontis Jodorowsky, Pamela Flores, Jeremias Herskovits...

"M'étant séparé de mon moi illusoire, j'ai cherché désespérément un sentier et un sens pour la vie."

 

Cette phrase définit parfaitement le projet biographique d'Alexandro Jodorowsky : restituer l'incroyable aventure et quête que fut sa vie.

Le film est un exercice d’autobiographie imaginaire. Né au Chili en 1929, dans la petite ville de Tocopilla, où le film a été tourné, Alejandro Jodorowsky fut confronté à une éducation très dure et violente, au sein d’une famille déracinée. Bien que les faits et les personnages soient réels, la fiction dépasse la réalité dans un univers poétique où le réalisateur réinvente sa famille et notamment le parcours de son père jusqu’à la rédemption, réconciliation d’un homme et de son enfance....

 

------------------------------Critikat -----------------------

Cinéaste, scénariste de BD, tireur de tarot de Marseille, chamane... Avec autant d’activités, il n’est guère surprenant qu’Alejandro Jodorowsky ait laissé passer vingt-trois ans entre son précédent film Le Voleur d’arc-en-ciel (qui a tout de même la réputation d’être son moins personnel) et celui-ci. Or il n’est pas certain que le temps ait joué en sa faveur, tant sa capacité d’évocation par l’imagerie semble s’être momifiée en une application de vignettes dévitalisées.La Danza de la Realidad est le premier film de Jodorowsky à prétention autobiographique, contant une part de son enfance – les années 1930-40 – dans un milieu plutôt hostile : le village chilien de Tocopilla où l’on n’apprécie guère les origines juives de la famille, et des parents qui se déchirent pour faire du petit une créature à leur image. Cependant, c’est fidèlement au style qu’on lui connaît que Jodorowsky transforme cette inspiration du réel en conte fantasmagorique nourri aux allégories et métaphores visuelles, quitte à s’incruster lui-même dans le cadre en conteur et philosophe commentant son propre passé. Un peu trop fidèlement, sans doute. Quand, dans d’autres de ses films (on pense surtout à l’excellent Santa Sangre), ses trouvailles de mise en scène parvenaient à innerver l’image, à lui communiquer un caractère primitif où scènes et personnages semblaient sortis de la mythologie d’une âme torturée, elles s’imposent ici sans jamais faire ressentir leur nécessité pour raconter quelque chose.

 

Passe encore que le couple parental reproduise une dichotomie déjà vue, dans Santa Sangre encore (papa nie la spiritualité et prône une discipline de fer ; maman est douce, mystique, et a ici la particularité de ne parler que par des chants lyriques). L’ennui est que ni lui, ni elle, ni aucun personnage (pas même l’enfant censé être l’alter ego du cinéaste : un comble) ne parvient à exister comme tel – un personnage : Jodorowsky les voue à porter leur lot d’imagerie, telles des marionnettes dont la vie serait un accessoire. Cela en devient d’autant plus pénible que la plupart de ces trouvailles visuelles relèvent de l’illustration redondante, du surlignement d’idées qu’une mise en scène plus affûtée eût pu travailler sans en faire des tonnes, et qui font plus remarquer la mainmise de l’auteur que sa sincère vision des choses. Le village est-il habité par une population anonyme que le cinéaste ne fera pas intervenir ? Il les affuble de masques sans traits. Des garçons se masturbent-ils dans un coin et moquent-ils Alejandro pour sa circoncision ? Jodorowsky leur met en main des manches en bois, et forcément Alejandro tient le sien dans le mauvais sens. Le père met-il en déroute un peloton de jeunes nazis ? La scène est bruitée avec des bruits de griffes, et les victimes tombent en poussant des cris de bébés, pour bien souligner que sous les brutes se cachaient des gamins immatures... Etc.

 

Jodorowsky étale ses effets à tel point que son histoire est vidée de sa force d’évocation, puisque celle-ci tend à s’exercer au-dessus de l’histoire. C’est d’autant plus dommage qu’à mi-chemin, après avoir suivi la lutte du petit garçon pour sa personnalité, le film bifurque vers une piste au moins aussi intéressante : celle du père, Juif dénigré et rallié au stalinisme, mais qui, à la faveur d’un miracle puis d’un handicap qu’on suppose psychosomatique, vivra un calvaire fait de reniements successifs de ses engagements. Il y a là matière à un regard – ironique (comme le plan réunissant le désarroi du père frappé du handicap et le chagrin de l’homme qu’il devait tuer), sinon réflexif – sur la fidélité aux idéologies, qui dépasserait alors la reconstitution imagée du passé. Mais le cinéaste s’applique tellement à faire de ce personnage une victime grimaçante portant sa métaphore dans ses mains comme une croix que la portée potentielle de son aventure butte contre une patte Jodorowsky aussi écrasante que desséchée.

 

Benoît Smith

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17 septembre 2013 2 17 /09 /septembre /2013 21:46

JIMMY P PSYCHOTHERAPIE D UN INDIEN DES PLAINES

De Arnaud Desplechin

Avec Benicio Del Toro, Mathieu Amalric, Gina McKee...

Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, Jimmy Picard, un Indien Blackfoot ayant combattu en France, est admis à l’hôpital militaire de Topeka, au Kansas, un établissement spécialisé dans les maladies du cerveau. Jimmy Picard souffre de nombreux troubles : vertiges, cécité temporaire, perte d’audition...

En l’absence de causes physiologiques, le diagnostic qui s’impose est la schizophrénie. La direction de l’hôpital décide toutefois de prendre l’avis d’un ethnologue et psychanalyste français, spécialiste des cultures amérindiennes, Georges Devereux. JIMMY P. (Psychothérapie d'un Indien des Plaines) est le récit de la rencontre et de l’amitié entre ces deux hommes qui n’auraient jamais dû se rencontrer, et qui n’ont apparemment rien en commun. L’exploration des souvenirs et des rêves de Jimmy est une expérience qu’ils mènent ensemble, avec une complicité grandissante, à la manière d’un couple d’enquêteurs....

 

CRITIKAT

Sélectionné à Cannes où il n’a reçu aucun prix, Jimmy P. propose pourtant un magnifique dénouement à l’œuvre riche et tendue d’Arnaud Desplechin. Le cinéaste trouve dans ce voyage américain un cinéma précis et apaisé, et surtout, un bouleversant répit.

Figure déjà en sommeil dans son cinéma éminemment psychanalytique (il donnait discrètement son nom à la thérapeute de Rois et Reine), Georges Devereux éclot avec Jimmy P. en plein centre de la galaxie d’Arnaud Desplechin. Il en incarne en fait le phénix : l’éclatant basculement qui voit Mathieu Amalric, éternel infirme d’une œuvre obsédée par les plaies de l’esprit, devenir ici celui qui les soigne. Invité à combler les lacunes de l’équipe médicale de la clinique Menninger, qui bute sur le cas d’un vétéran Blackfoot atteint de sévères migraines (sublime Benicio Del Toro), le fondateur de l’ethnopsychanalyse entame avec ce dernier une thérapie patiente, puisant à la fois dans l’enracinement culturel de l’Amérindien – le docteur entre en piste comme un Géo Trouvetou de l’anthropologie, Européen fantasque et polyglotte fasciné par les subtilités tribales des Mohaves et des Pieds-Noirs – et dans sa simple condition d’être humain, à la fois intime et universelle.

Jimmy P. est le résultat d’un singulier assourdissement du cinéma d’Arnaud Desplechin qui, comme touché par une étrange sédation, prend ses distances avec l’art choral et enivrant qui fut longtemps le sien. Apaisé, le cinéaste s’entiche pour la première fois d’une certaine forme de majesté, qui commence par une splendeur de l’immense : les Grandes Plaines, ou le décor le plus mélancolique du territoire américain. Ni aride comme les déserts du Sud, ni nauséeux comme la vallée du Mississippi, cet espace inonde de toute sa terrassante immobilité l’ouverture du film, convoquant pêle-mêle Robert Redford et le Cimino de La Porte du Paradis, ainsi qu’autant de personnages transfigurés par la monumentalité environnante. Ici, la plane immensité relie l’espace physique de la clinique de Topeka (Kansas) et l’espace mental des rêves et des souvenirs d’enfance de Jimmy Picard (dans le lointain Montana). Elle accueille aussi un geste de cinéaste dont la maîtrise monte d’un cran : plus d’enchâssement virtuose, de montage fiévreux, mais une élégance au repos à laquelle ce territoire immuable sied à ravir. Singulièrement daté, Jimmy P. se teinte d’un classicisme extrêmement gracieux, aux accents parfois hitchcockiens – des physiques d’un autre temps de Gina McKee et Larry Pine aux orchestrations herrmanniennes d’Howard Shore. L’écrin est posé pour une déambulation entre le rêve et l’éveil (que le patient confond dans ses vertiges), dont le fil rouge, on ne peut plus simple, n’est que le premier amour du cinéma de Desplechin : une conversation.

Au rythme lent des « see you tomorrow » qui ponctuent les séances, se noue une indéfectible amitié entre Picard et Devereux, une confiance intacte et candide. Une infinie minutie préside à l’écriture de cette relation : Desplechin ne cède jamais à l’émotion sur commande, retenant bien toute la pudeur de ces rapports à la fois intimes et professionnels, très circonscrits au cabinet du psychiatre (nomade : le bureau, le jardin, etc.). L’éclat complice n’est jamais qu’un sourire, un geste, une subtile marque de bienveillance : sa rareté en fait toute la bouleversante saveur. Pourtant, la position de l’analyste est indissociable d’une certaine forme de séduction : les premières séances donnent lieu à de délicieux moments d’apprivoisement, où le docteur fait ses gammes (« parlez-moi de votre enfance ») et le patient oscille entre perplexité et curiosité. Les deux hommes se nouent peu à peu l’un à l’autre, à mesure que leur profonde dissemblance devient une magnifique symétrie : deux hors-champs génocidaires (les Amérindiens, les Juifs d’Europe), imperceptiblement distillés dans le film, ajoutent à leur camaraderie une discrète fraternité de rescapés.

À l’assaut, donc, de l’intime de ce Jimmy Picard. Il faut, selon la formule consacrée d’Herman Melville, un Champollion pour déchiffrer l’Égypte de chaque homme ; c’est à cette immense exploration que s’attelle le psychanalyste, plongeant le film dans l’entremêlement des souvenirs rapportés par le patient – s’amorce de séance en séance une somnolence lucide, à laquelle le réel échappe peu à peu. Benicio Del Toro, sans doute le plus grand acteur de cette année de cinéma, y consacre une partition de tragédien, puissamment physique ; son jeu précis est imprégné par son altérité d’Indien (bien que l’acteur soit mexicain), qui passe notamment par un troublant langage du corps : à plusieurs questions du docteur, il ne répond que par un geste de la main, une courbure du visage. À mesure que les séances inondent graduellement le film, et que rêve et éveil se superposent, Jimmy P. n’est bientôt plus habité que par ce colosse naviguant dans sa mémoire, des scènes traumatiques de l’enfance au souvenir de femmes aimées. C’est au terme d’une très progressive réconciliation avec les images féminines de sa vie (une sœur, une épouse, un amour) que cet Ulysse du divan regagne son île, sa paix ; comme souvent chez Desplechin, c’est l’équilibre psychique enfin trouvé qui offre au film sa conclusion (à commencer par Sylvia qui « rendit » Paul Dédalus à lui-même dans Comment je me suis disputé), mais il se débarrasse ici d’une part de la roublardise avec laquelle le cinéaste exacerbait par le passé les angoisses et les fantasmes des personnages, et d’autre part du boniment explicatif très littéraire qu’il se plaisait alors à tisser autour d’eux.

Grâce à cet apaisement, et en dépit de son académisme de surface, Jimmy P. fait figure de guérison pour Arnaud Desplechin. Jamais le cinéaste n’a approché avec un tel resserrement, ni une telle sérénité, ce motif originel de son cinéma qu’est la blessure de l’âme. Tapie dans la chair du film, la cicatrice fait graviter autour d’elle tous les voyages intérieurs des personnages. L’emblème de ce périple qui s’achève (et qui fait très sincèrement se demander : que fera Desplechin après ?) est bien sûr Mathieu Amalric : à travers un archipel de trois à quatre films, de Comment je me suis disputé à Un conte de Noël, le comédien fait figure de foyer sismique dans l’œuvre du cinéaste. C’est par lui que la brûlure psychique se contamine à la population entière ; c’est bien lui le patient zéro, le porteur d’un mal qu’il fait osciller entre la simple bizarrerie et la quasi démence. Fort d’un tel cheminement, couvert de cicatrices, Amalric vit aujourd’hui une cinglante métamorphose. Jadis mutilé, il n’est plus finalement que le druide, sage dispensateur d’une science soulagée. Les deux hommes se séparent et tandis que Jimmy P. retrouve sa fille, Devereux confie son sentiment au psychiatre de l’établissement : « je n’ai pas traité Picard parce que c’était un Indien, mais parce qu’il était en mon pouvoir de l’aider. » Ainsi s’éteint une œuvre : sur l’image, douce et familière, d’un guérisseur.

Théo Ribeton

 

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17 septembre 2013 2 17 /09 /septembre /2013 21:43

une catastrophe , comment peut exister un tel décalage entre les critiques et notre vision decue?

quelques departs dans la salle apres 30min ...

 

De Serge Bozon

Avec Isabelle Huppert, Sandrine Kiberlain, François Damiens...

Deux inspectrices de la police des polices débarquent dans un commissariat de province pour enquêter sur la mort d’un indic d’origine algérienne. L’une tape, l’autre mate, tip top....

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11 septembre 2013 3 11 /09 /septembre /2013 22:33

l'amour plus fort que l'atome !!!

 

 

GRAND CENTRAL     De Rebecca Zlotowski

Avec Tahar Rahim, Léa Seydoux, Olivier Gourmet...

Durée : 1h35 Année : Nationalité : France 

De petits boulots en petits boulots, Gary est embauché dans une centrale nucléaire. Là, au plus près des réacteurs, où les doses radioactives sont les plus fortes, il tombe amoureux de Karole, la femme de Toni. L’amour interdit et les radiations contaminent lentement Gary. Chaque jour devient une menace....

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11 septembre 2013 3 11 /09 /septembre /2013 22:29

 

De Anthony Chen

Avec Yann Yann Yeo, Tianwen Chen, Angeli Bayani...

 

Durée : 1h40 Année : Nationalité : Singapour

 

A Singapour, Jiale, jeune garçon turbulent vit avec ses parents.

Les rapports familiaux sont tendus et la mère, dépassée par son fils, décide d’embaucher Teresa, une jeune Philippine. Teresa est vite confrontée à l’indomptable Jiale, et la crise financière asiatique de 1997 commence à sévir dans toute la région… CAMERA D'OR AU FESTIVAL DE CANNES 2013...

critique

Lauréat de la Caméra d’or au dernier festival de Cannes, et premier film singapourien à y être récompensé,

Ilo Ilo d’Anthony Chen vient apporter la certitude du savoir-faire de son jeune cinéaste, déjà auteur de multiples courts-métrages.

Brassant les thèmes sociaux avec les trajectoires intimes des membres d’une famille vivant à Singapour, Ilo Ilo sait aussi montrer qu’il a du cœur, et ce malgré une légère tendance à en passer par des figures imposées.

 

À l’aube des années 1990, l’Asie du sud-est s’est trouvée plongée dans une crise financière très virulente, situation intenable provoquant une grimpée massive du taux de chômage et une intolérable vague de suicides à travers tout le continent.

Ilo Ilo se déroule dans ce contexte tendu à Singapour et vient, par petites touches et avec intelligence, mettre en avant le carcan d’une société en voie de modernisation et la pression qu’elle instaure, ainsi que la violence des échanges dans le milieu du travail se répercutant avec affliction dans les foyers. C’est ainsi que Jiale, jeune garçon turbulent dont les parents ne savent plus quoi faire pour communiquer avec lui, se voit affublé d’une « nounou » philippine nommée Teresa.

 

Si Ilo Ilo se lance alors sur les rails d’une petite fiction de l’apprivoisement courue d’avance, c’est pour mieux nourrir le parcours de ces deux solitudes, en particulier celui de Teresa.

La jeune femme, arrachée à son propre pays par des impératifs économiques, subit les affres d’un racisme latent et doit faire face à la suspicion de ses employeurs, crainte d’autant plus insupportable qu’elle est logée sous le même toit qu’eux, donc faisant implicitement partie de la famille.

Anthony Chen prolonge cette dimension en laissant toute sa place au métissage et au mélange des langues dans la vie singapourienne, érigeant des singularités à l’intérieur du collectivisme des sociétés asiatiques.

 

Chen ne dévie pourtant pas d’un récit où la morale est sauve – la nourrice deviendra une mère et une amie de substitution – et même s’il doit parfois faire passer son programme bien huilé par le chas d’une aiguille (un accident de vélo ou la chute d’un étendoir à linge très « scriptés »), son film ne se défait jamais d’une authentique douleur du présent.

 

Déchirement intérieur des personnages qui ne peuvent s’empêcher de se battre pour reconquérir une place au sein d’une structure – familiale, entrepreneuriale, sociétale –, mais aussi élan de vie qui tente de balayer d’un revers de la main toutes les conventions. Le film est ainsi travaillé par une dialectique de la transgression des interdits, que Jiale incarne à sa manière brouillonne, comme une source de vitalité inextinguible. Il faut reconnaître à Anthony Chen à la fois du flair et de la sincérité, à travers cette volonté de suivre ce personnage jusqu’au bout de sa démarche tempétueuse. Ilo Ilo est un écrin pour Jiale, dont la mise en scène caméra à l’épaule épouse le côté fougueux de sa jeunesse, en même temps qu’elle traduit le chaos tourbillonnant dans lequel le pays plonge peu à peu. Cela implique une certaine frénésie du montage, qui n’empêche pas Chen de circonscrire avec simplicité et clarté les jeux d’opposition qui s’exercent au sein d’une famille. Un regard précieux, dont on attendra des nouvelles.

 

 

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